Mon nom est personne, comme tout le monde
Avant de faire cow-boy ici
je n’étais rien
pas grand-chose
en tout cas
un employé sans
envergure
un salarié sans
ambition
un chômeur au bout
du rouleau
un atome perdu
dans cette immensité
sans but
je vous l’assure :
on vit bien mieux
la fin de quelque chose
et le début d’une autre
en comptant sur ses doigts
le goutte-à-goutte
d’une folie
qui s’écoulerait
hors des sentiers battus
**
De la ligne 13 à la nuit des temps
Je vais à pied
surveiller le
troupeau
jusqu’au quai
de la ligne 13
station Plateau de Vanves-
Malakoff
les dix mille vaches
ont l’air heureuses
près des voies ferrées :
regarder passer les métros
les visages qui s’y endorment aux
fenêtres
d’un air nonchalant
comme si tout ça
comme si
les hautes tours
défraîchies
du quartier leur
étaient un enclos
on ne peut plus
naturel
depuis la nuit
des temps
**
John Wayne et Robert Mitchum ne sont jamais bien loin
Les jours
de peur
irraisonnée
quand je n’ose plus
foutre les pieds
dehors
que ma phobie
des autres
a fait le siège
de mon cerveau
il me suffit de penser
à leur façon de claquer les talons
de liquider une fiole de whisky
de prendre un bain vite fait
pour me sentir déjà (un peu) mieux
&
je roule du cul
comme John Wayne
de la chambre
jusqu’à la salle
de bain
en imitant Robert Mitchum
devant la glace
beuglant d’une voix virile :
- Do you want a biggest target ?
**
O’ Brother !
Mon frère s’est installé en banlieue
à une trentaine de kilomètres d’ici
avec sa nouvelle compagne
il me rend visite de temps à autre :
- Tu as vraiment dix mille vaches ?
il me raconte combien c’est dur
de trouver un bon rôle d’acteur
combien c’est dur de percer
dans le métier du cinéma
je lui verse un autre verre de vodka
en hochant la tête d’un air navré
il me dit que j’ai de la chance
finalement
d’avoir une aussi bonne vodka à la maison
avec une femme et une enfant
adorables
- Eh ouais, lui dis-je.
- Et tu as vraiment dix mille vaches ?
**
Un soir, au lit
Je suis en
train de lire
un roman
noir américain
ma squaw regarde
une émission
culinaire
à la télé
quand le premier
des deux
en aura
marre
il éteindra
les lumières
en souhaitant
(peut-être)
à l’autre
une bonne nuit
comme on envoie
une lettre
d’espoir
au bout du monde
***
Bibliographie :
« Le Cow-boy de Malakoff » (Le pédalo ivre, 2014),
« Le fabuleux destin qui pédalait dans la choucroute » (Asphodèle, 2013),
« 9 bureaux en quête d’employés » (-36° Éditions, 2011),
« Comme un insecte à la fenêtre » (Gros Textes, 2011).
Thierry Roquet est né en 1968 à Rennes. Il vit, aujourd'hui, en banlieue parisienne.
Le pédalo ivre - Maison d'édition associative
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