« Les faucons... »
Les faucons,
toujours trop loin pour ton regard,
tu les as rarement vus de près.
L'un, à Etretat, qui surveillait
le vol pataud de ses petits.
Deux autres, en Grèce, sur le chemin de Delphes,
une seule mêlée de plumes soyeuses, deux jeunes becs
hardis, inoffensifs.
Tu aimais la vie en lambeaux,
celle qui jaillit et rompt sa trame
insupportable.
*
Hiérarchies
Plus importante est la polis que ses parties.
Plus importante est la partie que chacune de ses parts.
Le prédicat l'est plus que le prédicant
et l'arrêté l'est moins que l'arrêtant.
Le temps s'enfuture dans le tout,
le tout est rebut du totalisant,
l'arrivée est l'improbable dans l'arrivable,
le poussoir un pou dans le poussable.
*
Le temps et les temps
Le temps n'est pas unique : plusieurs rubans
glissent, parallèles,
souvent en sens contraire et rarement
s'entrecroisent. C'est quand se révèle
la seule vérité, que, dévoilée,
elle est sitôt biffée par qui surveille
engrenages, aiguillages. Puis on replonge
dans le temps unique. Mais ce fut l'éclair
où les rares vivants se sont reconnus
pour se dire, non au revoir, mais adieu.
*
On allait....
On allait aux champignons
sur les tapis de mousse
des châtaigniers.
On allait aux grillons
et les lucioles
nous servaient de phares.
On allait aux lézards
et jamais
je n'en ai tué un seul.
On allait sur les fourmis
et j'ai toujours évité
de les écraser.
On allait à l'abécédaire,
au bourrage primaire
second-tertiaire, mortuaire.
On allait sur les pistes de malheur
et je n'en ai jamais été
collectionneur.
On allait prendre sa gamelle,
son travail,
son congé, sa résidence surveillée,
son infortune.
On n'allait plus aux champignons
mais à travers les jours bien longs
d'un âge plus sûr,
que dis-je, à travers aucun jour,
car point de jour
dans la serrure.
*
Après une évasion
Les bouleaux étaient là, en rangs serrés, cachant
le sanatorium où, malade
d'aimer trop la vie, en suspens
entre tout et néant elle s'ennuyait.
Un grillon chantait, parfaitement inséré
dans l'ambiance clinique,
de concert avec le coucou que déjà
tu entendais en Indonésie à moindres frais.
Les bouleaux étaient là, une infirmière suisse,
trois ou quatre aliénés dans la cour,
sur la table de nuit un album d'oiseaux exotiques,
le téléphone et quelques chocolats.
Et moi aussi, naturellement, et d'autres gens barbants,
pour te donner le réconfort
que tu pouvais, toi, distribuer à foison
pourvu qu'on eût des yeux. Moi j'en avais.
Satura, édition bilingue, traduit de l'italien par Patrice Dyerval Angelini, Nrf, Gallimard, 1976.