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Par le Comité Poétique.


MAHMOUD DARWICH : LA TERRE NOUS EST ÉTROITE

Publié par Le Comité Poétique sur 30 Avril 2018, 23:00pm

Catégories : #Poésie avec Mahmoud Darwich

QUATRE ADRESSES PERSONNELLES

 

 

Un mètre carré en prison

 

 

 

C'est la porte, et derrière, l'éden du cœur. Nos choses, tout ce qui nous appartient, s'estompent. Porte est la porte, porte de la métaphore, porte du conte. Porte qui épure septembre. Porte qui ramène les champs à la genèse des blés. Nulle porte à la porte, mais je peux accéder à mon dehors, amoureux de ce que je vois et ne vois pas. Tant de grâce et de beauté sur terre, et la porte serait sans porte ? Ma cellule n'éclaire que mon dedans. Que la paix soit sur moi, et paix sur le mur de la voix. En louange à ma liberté, j'ai composé dix poèmes, ici-là et là-bas. J'aime les miettes de ciel qui s'infiltrent par la lucarne, un mètre de lumière où nagent les chevaux, et les petites choses de ma mère... Le parfum du café dans les plis de sa robe quand elle ouvre la porte du jour à ses poules. J'aime la nature entre automne et hiver, et les fils de notre geôlier, et les journaux étalés sur les trottoirs lointains. Et j'ai composé vingt chansons pour maudire le lieu où il n'y a pas place pour nous. Ma liberté : être à l'opposé de ce qu'ils voudraient que je sois. Et ma liberté : élargir ma cellule, poursuivre la chanson de la porte. Et porte est la porte. Et nulle porte à la porte, mais je peux accéder à mon dehors...

 

 

 

 

Chambre d'hôtel

 

 

 

Que la paix soit sur l'amour le jour où il advient, et le jour où il disparaît, et le jour où il renouvelle ses amants dans les hôtels ! Qu'a-t-il à perdre, l'amour ? Nous prendrons notre café dans le soir du jardin. Au dîner, nous raconterons les récits de notre exil. Puis nous irons dans une chambre poursuivre la quête des deux étrangers d'une nuit de tendresse...

Nous laisserons quelques traces de mots sur deux sièges. Nous laisserons nos cigarettes. D'autres viendront prolonger notre soirée et la fumée. Nous laisserons un peu de sommeil sur l'oreiller. D'autres viendront et s'endormiront dans notre sommeil. Comment avons-nous cru nos corps dans les hôtels ? Nos secrets ? D'autres viendront et prolongeront notre cri dans le noir des deux corps confondus... Et nous ne sommes que deux numéros étendus dans un lit ouvert en libre pâture, et nous disons ce qu'ont dit deux passants par l'amour, il y a peu. Et viennent les adieux rapides, rapides. Cette rencontre fut-elle brève, pour que nous oubliions ceux qui nous ont aimés dans d'autres hôtels ? N'as-tu pas dit un jour ces mots crus, à un autre que moi ? N'ai-je pas dit un jour ces mots crus, à une autre que toi, dans un autre hôtel ou ici, dans ce lit ? Nous ferons les mêmes pas, que viennent d'autres, qui feront ces pas...

 

 

 

L'AEROPORT D'ATHENES

 

 

 

L'aéroport d'Athènes nous répartit entre les aéroports Le combattant a dit : Où combattrai-je ? Une femme enceinte lui cria : Où t'offrir ton enfant ? L'employé a dit : Comment employer mon argent ? Et l'intellectuel a dit : Qu'ai-je à voir avec ton argent ? Et les douaniers ont dit : D'où venez-vous ? Nous avons répondu : De la mer. Ils ont dit : Où allez-vous ? Nous avons répondu : A la mer. Ils ont dit : quelles sont vos adresses ? Une femme des nôtres a dit : Mon balluchon est mon village. A l'aéroport d'Athènes, nous avons attendu des années. Un jeune homme y épousa une jeune fille. N'ayant trouvé de chambre pour les mariages rapides, il se demanda : Mais où cueillir son hymen ? Nous en avons ri et lui avons dit : Jeune homme, ta question est déplacée. Et notre théoricien de service a dit : Ils meurent pour ne pas mourir. Ils meurent par inadvertance. Et le lettré a dit : Notre camp va tomber, inéluctablement. Que nous veulent-ils ? L'aéroport d'Athènes changeait d'habitants tous les jours. Et nous sommes restés assis, sièges posés sur les sièges, attendant la mer. Combien d'années encore, ô aéroport d'Athènes !

 

 

1986

 

 

Traduit de l'arabe par Elias Sanbar, Poésie/Gallimard, 2016, pp. 206-207; 212-213 et 217.

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