Cheval prêt à s'élancer, à gravir,
mais toujours la terre et le silence
soulèvent la maison et le chemin,
le tronc et la croupe, des noms forts.
Cheval de parole et de terre,
vaste par son nom et par son être,
il court le temps d'un regard sur la plaine,
ou se cabre embrasé sur les maisons.
Cheval à la fureur contenue,
écume d'un hénissement sur le mur
le plus haut de la terre, oreille
de la nuit en forme de cheval
sur l'horizon.
*
Il n'en finit pas le cheval d'être cheval
par son nom et par son corps,
par l'argile rouge et le taillis vert,
le commencement de la forme de son être.
Je me glisse à plat ventre pour le voir
dans la gloire de son champ d'herbe rase :
il respire l'air de son air
et la glaise du souffle immobile.
Le jour aussi gris qu'un pain de terre,
l'impatience de ces aines renforce
le marteau dont je bats le sommeil des champs.
*
T'écrire c'est me préparer à un nouveau jour,
un conflit d'étreintes et de fleurs dans la mer.
T'écrire c'est tomber amoureux de ton premier nom, la terre,
la maison, le sol ; les relier muscle après muscle
Jusqu'au goût chaud de ton haleine animale.
La blessure, la fureur blessée, emportée
par ton corps débridé dans le silence
d'un champ d'herbes hautes ; le silence
des noms du champ concentré
sur un mur blanc,
le chant et l'enchantement des choses nommées,
haute pierre, pluie froide, yeux enflammés,
herbes et fleurs,
la géométrie de ton pas sonne l'éveil
et de la dureté de la terre elle fait revenir le lieu
à son lieu initial, à ton nom de terre.
*
Où la bouche tombe tombe le soleil du cheval.
Ô bouche exaspérée dans les racines, dans les pierres,
bouche empoisonnée par le vert de la ténèbre.
Où est le soleil du cheval ? Rivière souterraine.
Flambeaux immergés, visions, noirs coutelas,
traverser le cheval, dominer l'espérance,
la patience est neuve, mais les lumières ne blessent plus
les yeux sans paupières, et le hasard commence
à perturber l'ordre qui mûrit les fruits,
à troubler la vue des champs et de la paix.
Là où la bouche tombe tombe le cheval et je tombe.
*
Les anges que je connais sont herbes et silences
dans un jardin l'après-midi. Quels sont les plus ardents ?
Faits de mer et de soleil, ils s'élèvent entre les vagues,
au milieu de femmes aux hanches de taureaux.
Mon deuil est fait de tables et de drapeaux guerriers.
C'est être sans l'espoir d'un corps, la bouche inconsolée,
le feu enflamme la poitrine, le front se détache du crâne,
le vide tourbillonne, c'est l'enfer céleste.
Je descends encore une marche avec l'ange infernal,
un remous d'herbes, un tourbillon de sang.
Qui me viendra en aide si j'ai perdu mon cheval ?
Le cycle du cheval, Traduction du portugais par Michel Chandeigne, Poésie/Gallimard, pp. 21, 22, 27, 32 et 46.